Les ombres d’une vie :

 

Chronologie

de

Denys le Chartreux

 

 

1402 : Naissance de Denys dans le petit village de Ryckel, dans le Limbourg belge.

1415 : Denys est scolarisé à la célèbre école de Zwolle.

1421 : On retrouve Denys inscrit à l’université de Cologne, suivant ainsi les conseils des supérieurs de la Chartreuse de Ruremonde (trop jeune, il n’avait pu y être admis cette année-là).

1424 : Il entre enfin à la Chartreuse de Bethlehem Mariæ à Ruremonde, il n’a que 21 ans.

1430 : Certaines de ses œuvres peuvent être clairement datées de cette époque-là, même si tout porte à croire que sa carrière littéraire a débuté dès avant son entrée dans la vie religieuse.

1434 : Denys se lance dans le commentaire de tous les Livres de la Bible, en commençant par celui des psaumes.

1441-1443 : Trois visions décrites par Denys ; il semble assez coutumier du fait.

1440-1445 : Rédaction du magistral traité De contemplatione.

1446 : Suite à une enquête ordonnée par le chapitre général des chartreux, Denys est cependant encouragé à poursuivre ses commentaires scripturaires.

1551-1552 : Denys accompagne le cardinal Nicolas de Cues, légat apostolique, dans son voyage de réforme des pays de la Meuse et du Rhin. Il s’ensuit toute une série d’écrits de réforme.

1454 : Autre vision sur la chute de Constantinople.

1457 : Denys termine ses commentaires scripturaires.

1458 : Denys joue un rôle important dans la réconciliation d’Arnold, duc de Gueldre, et de son fils Adolphe.

1459 : Denys est nommé procureur de son monastère.

1461 : Autre vision sur les maux de l’Eglise.

1465 : Denys est appelé pour la fondation de la Chartreuse de Bois-le-Duc.

1466 : Il devient recteur du nouveau monastère.

1469 : Epuisé, il obtient d’être déchargé de cette responsabilité. Retour à Ruremonde. Denys rédige son dernier traité De meditatione.

1471 : Denys s’endort dans le Seigneur le 12 mars, vers 11 heures du matin.

Les reprèsentations de Denys le Chartreux datent surtout du seizième siècle. Il s'agit pour la plupart d'entre elles de frontispices réalisés pour les éditions des chartreux de Cologne.

Denys à sa table de travail

1530 : Parution du premier volume des œuvres de Denys éditées par les chartreux de Cologne.

1554 : Incendie de la Chartreuse de Ruremonde.

1570 : Première traduction française connue d’une œuvre de Denys.

1609 : La dépouille de Denys est retrouvée le 12 mars.

1785 : Après un séjour à Cologne, les reliques de Denys sont ramenées à la cathédrale de Ruremonde.

1858 : La relique du maxillaire inférieur de Denys est offerte  au monastère de la Grande Chartreuse.

1896-1913 : Edition en 44 volumes des œuvres de Denys, à Montreuil et Tournai.

 

 

Petite biographie

de

Denys le chartreux

 

 

Denys est né vers 1402 à Ryckel, près de Lièges, dans une famille honorable mais de condition modeste, les Van Leeuven. Il fut tout d’abord externe à Saint-trond, probablement à l’école de l’abbaye bénédictine. Agé de treize ans, il s’inscrivit à la célèbre école municipale de Zwolle, qui était alors, sous la direction de Jean Cèle, la plus fréquentée des Pays-Bas ; il y reçut une éducation soignée dans l’esprit des Frères de la Vie commune où se faisait très largement sentir l’influence de la devotio moderna. Intelligent, d’une piété profonde (il connut très tôt de nombreuses grâces intérieures), il se sentit attiré par la vie religieuse et alla frapper à la porte de la Chartreuse de Zehlem ; il avait dix-huit ans. Trop jeune encore, il fut éconduit, mais cela ne l’empêcha pas de tenter sa chance ailleurs, dans une autre chartreuse, celle de Ruremonde. Plus perspicace, le prieur vit tout de suite qu’il tenait là un sujet d’exception, et il usa de toute sa science pour démontrer au fervent postulant de quelle utilité serait pour lui, futur solitaire, une sérieuse formation théologique. Denys devait donc attendre ses vingt et un ans. Il mit cependant à profit ce nouveau délai en poursuivant ses études à l’université de Cologne. Il y est signalé en 1424 comme magister artium. La même année, il fut enfin admis à la Chartreuse de Bethlehem Mariae à Ruremonde. Cela néanmoins ne se fit pas sans livrer quelques derniers combats, le démon de la science et de l’orgueil l’ayant à nouveau saisi. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois ; rien d’étonnant à cela, le milieu estudiantin de cette époque n’étant pas le plus apaisé de tous.

 

Je n’étais point, Seigneur, et vous m’avez donnez l’être, la vie, l’entendement, la mémoire, la volonté, tous mes membres et mes sens. Mais que m’eut profité d’être né, si vous ne m’aviez fait la grâce d’être baptisé ? Vous m’avez donc reçu pour vôtre au saint baptême, vous m’avez gardé dès mon enfance. Combien hélas, ô Christ très sage, Sauveur bienveillant, combien en avez-vous délaissé dans les ténèbres de l’ignorance et les concupiscences de la chair, qui me sont proches, et du sang desquels je suis issu ? D’entre eux, vous m’avez retiré encore petit enfant, alors que je n’avais pas l’âge de raison, me faisant la grâce de pouvoir étudier, m’enseignant vous-même et par vos serviteurs. J’étais un enfant ingénieux, vous m’avez donné un esprit capable de comprendre. Et ce dont maintenant encore je m’émerveille et me souviens quelquefois, ô plus beau et plus désirable non seulement que tous les hommes mais aussi que tous les anges, Fils unique de la Vierge très sacrée, je le confesserai, vous rendant grâce très humblement : car d’où sinon de vous, Seigneur, procédait ce si grand amour des lettres, cette ardeur presque incroyable de savoir que je sentais sans cesse brûler en moi depuis le moment où j’avais commencé à m’adonner a l’étude. Ainsi, même de nuit, voyant le clair de lune entrer par les fentes des volets, pensant qu’il faisait jour, je me levais sans tarder, et je serais allé à l’école, si les portes de la maison n’avaient été fermées. Toutefois, le temps s’écoulant, et moi empirant avec lui, je me suis, ô douleur, assujetti à la vanité. Mais vous, Créateur plein de bienveillance, vous avez eu bientôt pitié de moi, et pour me faire étudier, vous m’avez mené en un pays éloigné du mien. Là, je n’ai pas seulement appris les rudiments de la philosophie, mais ceux aussi de la vie religieuse, par votre grâce et faveur. Mais, hélas, je suis retourné, comme  les chiens, à mon vomissement. Car n’ayant encore atteint l’âge requis pour la vie que mon cœur désirait, j’ai différé à me convertir, et m’adonnant de nouveau à l’étude, tout ainsi que je profitais dans les sciences plus que les autres, plus aussi étais-je enflé d’orgueil et d’arrogance, de présomption et de témérité. Néanmoins, ô Créateur plus que très doux, vous m’avez fait et rendu entre toutes ces choses, ferme, stable et constant en mon bon propos et sainte volonté. Puis, quand il vous a plu, vous m’avez mis en votre maison que déjà depuis longtemps je désirais ardemment[1].

 

Très tôt il fut reconnu par ses contemporains comme un religieux exemplaire. Il aimait la solitude et sortait le moins possible de sa cellule. Il était doué d’une excellente santé, dormait peu, jeûnait beaucoup, reconnaissant de lui-même qu’il avait la tête de fer et l’estomac d’airain. S’il consacra dès avant 1530 beaucoup de son temps à l’étude et à la composition d’ouvrage, l’essentiel de ses heures fut bien cependant consacré à la prière. Il s’agissait surtout de prières vocales, celles bien sûr prévues par la récitation de l’office, mais aussi celles qu’il s’imposait, à savoir notamment la récitation quotidienne d’un psautier complet. Son oraison semble avoir été très simple, il aimait tous les jours à méditer la Passion[2] ou à contempler la Sainte Trinité, les deux grandes dévotions de sa vie. Ce fort tempérament, il était un homme de grande taille et force[3], fut bientôt gratifié de faveurs surnaturelles ; dès lors les extases de plusieurs heures ne manquèrent pas. Par un juste retour des choses, ses livres furent en conséquence nourris de ce contact avec le divin. Ecrire, comme il le dira lui-même, soutenait d’ailleurs sa méditation.

 

Moi, frère Denys, du fond du cœur je rends grâce à Dieu de m’avoir fait entrer si jeune en religion. Je n’avais alors que vingt et un ans, et en voici maintenant, avec l’aide du Seigneur, quarante-six que je suis chartreux. Pendant tout ce temps, Dieu en soit béni, je me suis assidûment appliqué à l’étude, et j’ai lu de nombreux auteurs (…) Ce genre de travail auquel l’esprit prend part, est naturellement accompagné de beaucoup de difficultés, de fatigue et d’ennuis : il m’a été par cela même plus profitable, puisqu’il m’aidait à mortifier les sens et à réprimer les instincts mauvais. Ces études enfin m’ont fait demeurer plus volontiers en cellule (…) Pour autant que j’ai pu m’en convaincre après mûr examen, je n’ai pas conscience de m’être livré à cette tâche par vanité, ni par recherche de la renommée ou d’avantages personnels, mais plutôt afin que, travaillant chaque jour sur les saintes écritures, je m’applique à vivre selon leurs enseignements, pour parvenir enfin à la véritable humilité, patience et douceur, dont j’ai tant besoin[4].

 

A trois reprises, Denys dut quitter le silence de son cloître. Vers 1434, on lui confia la charge de procureur de la Chartreuse de Ruremonde, non pour ses qualités de financier, mais bien plutôt pour lui permettre d’accueillir plus facilement ceux que son érudition et sa sainteté attiraient. Le procureur a en effet le soin de l’administration temporelle du monastère, ce qui l’amène inévitablement à avoir des contacts avec l’extérieur. Sans que nous en connaissions trop bien les raisons, Denys obtint rapidement miséricorde, et il put retourner à sa chère cellule. Pas pour longtemps cependant, puisque Nicolas de Cues, le nouveau légat apostolique, lui demanda de l’accompagner de janvier 1451 à mars 1452 dans son voyage de réforme des pays de la Meuse et du Rhin. En 1466 enfin, Denys fut nommé recteur de la nouvelle fondation de Bois-le-Duc. Celle-ci ne fut pas une réussite. On remis en effet aux chartreux un terrain très exigu, en forte pente, privé d’eau ; un an plus tard, la communauté dut se déplacer, mais le terrain cette fois-ci trop marécageux ne rendit pas la vie plus facile. Epuisé, Denys obtint en 1469 d’être démis de sa charge et de retourner à Ruremonde, dans son monastère de profession. Mais c’est un homme à la santé détruite, qui revenait. Dans le calme et le recueillement, il rejoignit son Seigneur le 12 mars 1471.

 



[1] De munificentia… art. 26.

[2] De  meditatione art. 12 : Toute la manière de vivre des vrais chrétiens, toute leur attention, affection et dévotion a pour objet la Passion du Christ où brille merveilleusement la perfection de toutes les vertus.

[3] Il avait aussi un défaut à la mâchoire. Celle-ci, proéminente, provoqua chez Denys un problème d’élocution.

[4] Protestatio ad superiorem.